IV. HISTOIRE DES MOUVEMENTS ANORMAUX
Les mouvements anormaux ont une longue histoire : leur existence est en effet facile à constater, et ils ont de tous temps conduit à des interprétations aux consonances souvent religieuses ou ésotériques.
Galien et Pline décriront sous le nom de Scelotyrbe ("faiblesse de jambe") un mouvement anormal semblant correspondre à une impatience motrice des membres inférieurs.
La chorée apparaît à l'origine des mouvements anormaux.
L'histoire récente des mouvements anormaux démarre avec les pestes moyenâgeuses, la grande peur s'exprimant par des appels à la clémence divine, en particulier à travers des dansomanies.
En 1374 à Aix-La-Chapelle puis un peu partout en Europe vont apparaître des pratiques fanatiques : flagellation, danses forcenées et vociférantes avec intervention hallucinatoire et salvatrice du Christ et de la
vierge. Saint Vitus (286-302) fut martyrisé sous Dioclétien, accusé de sorcellerie pour avoir traité les attaques de dansomanie auxquelles était sujet le fils de l'empereur. Juste avant d'être torturé, il pria
pour que ceux qui commémoreraient le jour de sa mort soient protégés contre la dansomanie. C'est ainsi que la Chapelle de Saint-Vitus, en Souabe, devint un des hauts lieux de rassemblement de dansomanes. Cette
dansomanie devint ainsi "CHOREA SANCTI VITI" ou danse de saint Guy, dont les excès libertins et criminels obligèrent les autorités à interdire l'exercice. Cette pathologie, dont l'origine hystérique est
évidente (BARBEAU - 1881) est encore évoquée au XVIème puis, épisodiquement, dans certaines parties du monde sous différentes appellations : tarentisme (Italie) attribué à la morsure de la tarentule, astaragaza,
leaping eague, convulsionnaires, sauteurs, rouleurs, aboyeurs...
Apparaît alors Philippus Aureolus Theophrastus Paracelsus Bombastus Von Hohenheim (1492-1541), dit Paracelse, qui va isoler : la chorée imaginative, la chorée sensuelle et la chorée naturelle, cette dernière étant la
seuls maladie authentique. Il classait les dansomanies du moyen âge parmi les chorées sensuelles ou lascives.
AU XVIIème siècle apparaît l'Hippocrate anglais Thomas Sydenham (1624-1689). Il se rendra après la guerre civile en 1659 chez le célèbre Charles Barbeyrac de Montpellier, puis s'installe à Londres en 1660... et
bientôt la grande peste va tuer 70.000 personnes. Il se retire ensuite à la campagne, et va décrire de nombreuses affections : la goutte, dont il était atteint, l'hystérie qu'il trouvait fréquente chez la femme, la
rougeole, la scarlatine et la dysenterie. Selon lui, le meilleur livre à lire pour améliorer ses connaissances médicales restait Don Quichotte "c'est un très bon livre, je le lis encore moi-même".
C'est à cet Homme que l'on doit la première description de la Chorea Sancti Viti qui porte désormais son nom. C'est en 1686 dans un livre écrit en Anglais, puis traduit en Latin comme toute son oeuvre et intitulé
"Schedula monitoria de novae febris ingressa"... il mourra 3 ans plus tard. Il décrit ainsi la chorée (traduction : Diderot 1745, Boissier de Sauvages 1771):
"La danse de Saint Vit est une espèce de convulsion qui attaque les enfants et les filles depuis l'âge de 10 ans jusqu'à celui de la puberté. On la connaît par le boitement ou par l'instabilité de l'une ou
l'autre jambe, que le malade tire à lui à la manière des fats. Il ne peut tenir pendant une heure dans la même situation la main du même côté appliqué sur la poitrine ou sur quelque autre partie ; les convulsions
qui l'agitent le forcent de changer de place. Quelqu'effort qu'il fasse avant de porter le verre à la bouche, il fait mille gestes à la façon des batteleurs, car il ne l'y porte pas droit mais en faisant plusieurs
détours et différents mouvements jusqu'à ce qu'enfin le hasard lui fasse rencontrer la bouche. Il verse promptement la liqueur et la boit avidement, comme s'il voulait apprêter à rire aux spectateurs".
La chorée devient au début du XVIIIème siècle essentiellement allemande.
François Boissier de Sauvages de la Croix (1706-1767) est né à l'exact moment d'une éclipse de soleil. Il passe sa thèse en 1726, avec comme titre "Si l'amour peut être guéri par les remèdes tirés des
simples" ce qui lui valut le surnom de médecin de l'amour. Montpelliérain, Il publie sa nosographie méthodique en 1731 et en Latin à son retour d'un séjour parisien de 15 mois... il n'avait alors que 25 ans. Il
imagine et prouve "autant qu'on le peut" que le fluide nerveux est le même que le fluide électrique. Dans sa théorie des convulsions, il expose qu'une contraction violente et forcée d'un muscle est nommée
spasme par les grecs et convulsion par les latins. Il leur préfère le mot de "CACOCINESIES" ou "mouvement dépravé des muscles, ces mouvements appartiennent aux membres supérieurs et inférieurs, à la
tête, aux yeux, à la langue, à la mâchoire, au coeur et à la verge".
Ordre 1 : spasmes toniques partiaux : strabisme, tic(trismus), torticolis, contracture, crampe, priapisme.
Ordre 2 : Spasmes toniques généraux : tétanos, catalepsie
Ordre 3 : spasmes cloniques partiaux : souris (nystagmus), soubresaut (carphologie), tiraillement (pandiculation), convulsions, tremblement, palpitations, boitement.
Ordre 4 : spasmes cloniques généraux : frissons, convulsions des enfants (éclampsie), épilepsie, passion hystérique, danse de Saint-Guy (scélotyrbe), béri-béri.
Il classe le tarentisme dans les folies, précise que la morsure de tarentule est un préjugé et qu'elle n'est nullement à l'origine de cette "fureur pour la danse". Il range parmi les folies les démonomanies
et les diableries survenues en 1636 chez les Ursulines de LOUDUN... près de Loudun où Gilles de La Tourette passait ses vacances, se trouve Saint-Gervais les Trois Clochers où il est né. Il décrit aussi la
"danse de Saint-Guy précipitée ou festinée qui atteint les vieillards et en attribue la paternité à Gaubius de Leyde qui a été le premier en 1751 à décrire la festination de la maladie de Parkinson.
Parmi les Tics décrits, se trouvent la contracture, le priapisme, le strabisme. Il existe 19 variétés de tics, dont le tic des nouveaux nés (tétanos), le bruxisme (tic vermineux), le tic inflammatoire (phlegmon
amygdalien), le tic maxillaire (névralgie du V), le tic des chevaux qui "saisissent la mangeoire avec les dents et imitent ainsi le son du tic".
Bouteille, Médecin installé à Manosque, avait très vraisemblablement connu Sauvages à Montpellier où il avait fait ses études. Il avait 80 ans lorsqu'il publia en 1810 son traité de la chorée ou danse de
Saint-Guy. "Tout est extraordinaire dans cette maladie : son nom est ridicule, ses symptômes singuliers, son caractère équivoque, sa cause inconnue, son traitement problématique. De graves auteurs ont douté de
son existence, d'autres l'ont crue simulée, quelques une l'ont réputée surnaturelle". Il conteste Sydenham et pense que la chorée est une espèce d'hémiplégie "cette maladie a de l'analogie avec les
convulsions d'un côté et avec la paralysie de l'autre". Il existerait 3 types de chorée : essentielle ou protopathique (danse de Saint Guy), secondaire ou deutéropathique (complique une autre maladie),
pseudopathique (convulsions, épilepsie, hystérie). Il est probablement le premier à avoir reconnu l'association chorée-rhumatisme. En 1871, Georges Huntington, médecin de Long Island, décrira la famille Pen Wells,
déjà suivie par son père et son grand père, atteinte de cette chorée chronique qui porte désormais son nom. Beard pouvait cependant encore écrire en 1880 les sauteurs du Maine comme "une maladie héréditaire
psycho-contagieuse".
Itard, en 1825, ne parle pas de tics mais de névrose et d'affection convulsive à propos de la célèbre marquise de D.. (1807-1884), améliorée par l'isolement et une cure de petit lait. En 1830 Charles Bell appelle les
tics "spasmodic twitching" Trousseau pense qu'il faut laisser le nom de danse de Saint Guy à la Chorée de Sydenham, propose les noms de "Chorea festinans" (parkinson), "chorea
nevralgica" (névralgie du V), "chorea scriptorum" (crampe des écrivains).
Georges Albert Edouard Brutus Gilles de La Tourette est né en 1857. Il fut l'un des élèves favoris de Charcot. Il a écrit sur l'hystérie et les conséquences médico-légales de l'hypnotisme. Il aimait beaucoup son pays
d'origine, et publia une analyse du tableau hystérique de Soeur Jeanne des Anges et de son amour non récompensé pour le prêtre Urbain Grandier. Il montre en 1884 que les jumping du Maine, le Latah de Malaisie, le
Myriachit des officiers américains ne sont qu'une même affection. En 1885, dans les archives de Neurologie il rapporta en un mémoire "Etude sur une affection nerveuse caractérisée par de l'incoordination
motrice accompagnée d'écholalie et de coprolalie" les fameuses 9 observations de la maladie qui porte son nom (signé Gilles de La Tourette, Interne des Hôpitaux de Paris, concours 19 Décembre 1881). En 1893,
peu après la fin tragique de son jeune fils, une de ses malades lui tira une balle de revolver... pour se plaindre d'avoir été hypnotisée par Gilles de La Tourette contre son gré. Il s'en suivit un
procès célèbre qui a été interprété comme une criminalité déclenchée par l'hypnotisme... et fit la première page des journaux de l'époque.
Ainsi apparaissait, émergeant des convulsions, tics, sorcelleries et autres hystéries, la nosographie actuelle à laquelle nous sommes encore fidèles : crises convulsives, hystérie, chorée chronique, chorée aiguë,
tics.
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