VII. HISTOIRE(s) DE L'EPILEPSIE
"Epilepsie" signifie "saisissement" (grec Epilambanein) : on est saisi par les dieux... ou les démons.
Mal maudit ou mal sacré, l'épilepsie fut aussi appelée : Grande, Herculéenne, Divine, Sacrée. Ce fut aussi le "Morbus Caducus" (mal caduc, c'est à dire maladie qui fait tomber).
L'histoire des convulsions remonte à la plus haute antiquité. C'est Hippocrate (né en 460 av J.C.) qui le premier va isoler l'épilepsie. Il va nier son caractère "sacré" :
"La maladie paraît n'être guère plus divine que d'autres; mais elle a sa nature comme les autres, sa cause n'est divine que comme les autres maladies, et son traitement de même... sa cause est héréditaire,
comme d'autres maladies."
Dans son Livre des Vents il écrit que l'épilepsie a pour cause les différentes obstructions qui se forment dans les veines et interceptent tellement les mouvements du sang, qu'il s'arrête dans les unes, coule
lentement dans d'autres, et va plus vite ailleurs, d'où il arrive que son cours étant inégal dans tout le corps, il en résulte partout des inégalités infinies. Selon Hippocrate, une urine aqueuse et extrêmement crue
indique l'approche de l'accès, surtout si cette circonstance est accompagnée d'une douleur ou d'une tension de l'acromium du cou ou du dos, de la stupeur du corps, ou de songes effrayants.
Pour Théophraste
(philosophe et savant grec né en 372 av J.C.), la dépouille du lézard appelé "Stellio" est un remède efficace,... mais qu'il est très difficile de l'avoir parce que l'animal la dévore aussitôt qu'il l'a quittée.
L'Epilepsie fut décrite par de nombreux médecins de l'antiquité, particulièrement par Arétée de Cappadoce,
célèbre médecin grec ayant vécu à la fin du premier siècle et au commencement du second. L'épilepsie fut aussi étudiée par Coelius Aurelianus, médecin de la secte des méthodistes qui vivait au IIème (ou au
Vème siècle ? On ne sait plus très bien).
Erasistrate
(médecin grec mort vers 280) eut le mérite de pratiquer le premier la dissection du corps humain. Il recommandait aux épileptiques de manger et de boire fort sobrement, de se baigner rarement, de faire beaucoup d'exercice, et d'éviter tout ce qui est capable de produire un changement soudain dans le corps.
Oribase
(médecin grec né vers 325, élève de Zénon de Chypre) ordonnait la saignée pendant et après l'accès... et, dès que le corps avait repris un peu de force, un purgatif, suivi de ventouses et de scarifications. Il aurait par ailleurs découvert les glandes salivaires.
Les assemblées du peuple chez les Romains ont été constituées par curies (divisions de la cité), centuries (classes des citoyens) et tribus (conseils du peuple ou concilia plebis). Ces assemblées se réunissaient en
Comices
pour les affaires dont elles avaient la décision. Les Comices ne pouvaient être réunies que certains jours (dies comitiae) déterminés par les pontifes. On consultait les auspices avant la séance. En cas d'auspices défavorables la réunion était ajournée. Il en était de même si une crise d'épilepsie survenait pendant une réunion. D'où le nom romain de l'épilepsie "Comitialis Morbus" ou "Mal des Comices"... qui a donné le mot "Comitialité". Les crises d'épilepsie de Jules César apparaissent dans le film "Cléopâtre" dans une scène avec Elisabeth Taylor.
Les anciens appelaient la maladie "to theion" c'est à dire De Dieu. D'autres ont considéré qu'elle venait d'un venin narcotique, d'enchantements, d'une matière acre irritant les nerfs. On a dit qu'elle
était "mouvement tumultueux et confus du principe vital ou de l'âme raisonnable".
En fait la conception de l'épilepsie n'évolua pas de GALIEN (175) à ESQUIROL (1838): il existait 2 types d'épilepsie suivant que les crises résultaient d'une mise en jeu DIRECTE ou INDIRECTE du cerveau. Dans le
premier cas il s'agissait d'un ENCOMBREMENT DE LA CIRCULATION DES HUMEURS NATURELLES dans les ventricules cérébraux: épilepsie CENTRALE ou IDIOPATHIQUE. Dans la seconde éventualité, elle était rapportée à une
accumulation dans ces mêmes ventricules d'humeurs peccantes provenant d'organes étrangers au cerveau mais EN SYMPATHIE AVEC LUI (épilepsie SYMPATHIQUE ou CENTRIPETALE)... Il apparaîtra au fil des siècles un nombre
croissant d'épilepsies SYMPATHIQUES d'origine EXTRA-CEREBRALE:
épilepsie sympathique lymphatique (sujets chlorotiques)
épilepsie sympathique vénérienne (luxure, onanisme)
En 1305, Gordon décrivait la poudre "Ad Guttetam" qui resta célèbre pour la cure de l'épilepsie dans les siècles suivants.
Paracelse (père de la médecine hermétique, né en 1493) préparait une préparation dont les fleurs d'antimoine sont la base, recommandait aussi le soufre de vitriol et signalait l'effet merveilleux de l'opium.
Trallien recommandait le sabot ou le crâne de l'âne comme un secret précieux qu'il avait appris en Espagne.
Sylvaticus (Cent. I Cens. 45) ordonne pour faciliter la révulsion et la dérivation du sang de tirer deux fois par mois quatre onces de sang au malade par les veines de l'anus.
Victor Trincavelius
(1496-1568) médecin vénitien donna un grand exemple de dévouement en allant secourir les habitants de Murano atteints par la peste. Il rapporte dans son oeuvre "Opera Omnia", publication post-mortem (1586-1592), qu'un homme âgé de cinquante ans fut guéri d'une épilepsie par l'éruption d'efflorescences malignes sur son corps.
Pour traiter l'épilepsie, Jean de Gaddesden recommandait une vessie de sanglier cuite, du gui et le coucou.
Le 6 Avril 1520 mourait Raphaelle SANZIO
à l'âge de 37 ans. Raphaël, grand maître de la peinture de la renaissance italienne, laissait à côté de son lit de mort son dernier chef d'oeuvre "La Transfiguration"; dans cette oeuvre on peut voir en haut Jésus-Christ... et en bas un enfant en pleine crise d'épilepsie : bipolarité entre Dieu et un enfant au corps violemment contracturé. Cette toile est inspirée de l'évangile (Marc, IX, 18-27), mais la Bible n'emploie jamais le mot "épileptique". Elle parle de "possédés" ou de "lunatiques".
Thomas Willis
(1622-1675) nous apprend dans le troisième chapitre de son livre "De Morbis Convulsivis" qu'une fille épileptique était tombée la tête la première dans le feu et ayant eu par ce moyen cette partie cautérisée fut exempte de cette maladie pendant tout le temps que ses ulcères demeurèrent ouverts, mais qu'elle revint dès qu'on les eût consolidés.
Selon Charles Pison la cause de l'épilepsie est "un amas de sérosité peccante qui obstrue les pores du cerveau, ou empêche l'influence des esprits animaux dans les parties où ils ont coutume de circuler
lorsque le corps est en bon état".
Selon M. James au début du XVIIIème siècle, l'épilepsie est due "au mouvement déréglé des humeurs qui circulent dans les vaisseaux du cerveau". Il existerait des épilepsies "idiopathiques" et
"symptomatiques". L'épilepsie idiopathique était de causes externes (fracture du crâne, mais aussi passions de l'âme, frayeurs, colère...). L'épilepsie symptomatique est provoquée par le transport au
cerveau d'humeurs caustiques venant d'une atteinte d'un autre organe (cachexie, spasmes de l'intestin, hémorroïdes,...). On reconnaissait chez l'enfant les crises liées aux vers intestinaux "qui rongent les
tuniques nerveuses des intestins". L'épilepsie idiopathique était difficile à guérir, la symptomatique plus facile.
TISSOT dans son traité de l'épilepsie (1772) admet que pour produire une épilepsie il faut 2 choses : une disposition du cerveau à entrer en contraction plus aisément qu'en santé, (cause prédisposante) et une cause d'irritation qui pette en action cette disposition (cause
déterminante).
Au milieu du XIXème siècle la notion de SYMPATHIE CEREBRO-VISCERALE va petit à petit être abandonnée et toutes les épilepsies vont se voir rattacher uniquement des phénomènes cérébraux, mais pouvant être mis en jeu
par des afférences centripètes (épilepsies réflexes). La classification tend alors à différencier l'épilepsie "essentielle" de l'épilepsie "lésionnelle" et ce de DELASIAUVE (1854) à PENFIELD et
JASPER(1954). On admettait que le diagnostic entre ces 2 types d'épilepsies était facile à partir de la manifestation clinique.
Dostoïevski, lui même épileptique, décrivait ainsi les crises dans l'"Idiot" au travers de l'itinéraire du Prince Myschkin :
"le moment ne dura peut-être qu'une demi-seconde (l'aura), pourtant il pouvait s'en rappeler clairement et consciemment, puis vint ce cri d'effroi qui sortit de sa poitrine, à la fois de son propre gré mais
aussi de façon irrépréhensible. Alors il perdit aussitôt la conscience et l'obscurité se referma sur lui".
L'histoire de l'épilepsie va basculer dans le modernisme suite à la découverte de l'électroencéphalogramme par Hans Berger en 1925-1930. On rattachera bien vite et de façon définitive l'épilepsie à un phénomène
cortical. Tous ses aspects électriques seront décrits. La description des pointe-ondes du petit mal est due à Gibbs.
MORUZZI écrira en 1946 dans son traité de l'épilepsie expérimentale : "il existe des animaux prédisposés à l'épilepsie réflexe et d'autres qui ne le sont pas".
A la fin des années 1950 apparaîtra la notion d'épilepsies reflet de lésions corticales diffuses (syndrome de WEST et LENNOX-GASTAUT). Et ce n'est qu'en 1958 que les élipepsies focales NON LESIONNELLES seront
reconnues (LOISEAU BEAUSSART...)
En 1961 METRAKOS et METRAKOS montrent que la pointe-onde 3 c/s est l'expression EEG de la prédisposition épileptique et qu'elle se transmet génétiquement suivant un mode autosomique dominait avec une pénétrance
maximale dans l'enfance et l'adolescence.
VAN GELDER en 1978 et GLOOR en 1982 démontreront que cette susceptibilité génétique est liée à l'abaissement du rapport TAURINE/GLUTAMATE.
Les 2 facteurs de l'épilepsie (lésion et prédisposition) sont liés, et on a démontre que les sujets prédisposés à l'épilepsie primaire font d'autant plus facilement des crises qu'existe une lésion, alors que les
sujets porteurs d'une lésion font d'(atant plus facilement des crises qu'ils sont prédisposés aux convulsions.
Les Médicaments
De très nombreux "remèdes" ont été proposés de tous temps. Les anciens nourrissaient les épileptiques de chair humaine, de belette, de chevaux ayant des verrues lépreuses aux jambes, d'âne ou de mulet. Ils
leurs donnaient aussi les membres et les testicules du chien de mer ou de rivière, des cloportes, ou des écailles de fer avec de l'eau. Ils prescrivaient aussi de la cervelle de chameau desséchée et pulvérisée
qu'ils faisaient renifler aux enfants, et qu'ils donnaient à boire aux adultes avec de l'hydromel et du vinaigre. Ils employaient aussi le lait d'ânesse, le sang humain, ou de taureau (Thémistocle se serait
empoisonné avec!)
La poudre épileptique anodyne du Docteur Weismann médecin à Windsheim était considérée comme efficace au XVIIIème siècle. Voici sa constitution :
1 dragme de chacun des éléments suivants :
Poudre de l'ongle d'élan non calciné
Rapures d'ongle d'élan
Dent de cheval marin
Véritable Licorne
Lapis Manati
Corail rouge
Ambre blanc
Crystal ordinaire
Emeraude
Poudre de ver de terre
Arêtes de barbote
Soufre végétal corallin
Semences de jusquiame
Perles orientales
2 dragmes de Cinnabre naturel
1 scrupule de thériaque céleste
1/2 scrupule de castoreum
Pulvérisez toutes ces drogues et donnez une dose au malade dans de l'eau de fleurs de tilleul, de lis des vallées, de cerises noires, de pivoine, d'hirondelle avec le castoreum, ou dans l'eau épileptique de
Langius.
Un conseil : n'essayez pas de faire recopier sur une ordonnance cette recette, le pharmacien risque fort de vous conseiller un examen psychiatrique!
Le premier vrai médicament fut l'apparition de l'usage du Bromure de Potassium proposé par William LOCOK en 1857. Le bromure étant connu comme générateur d'impuissance, LOCOK estima qu'il devrait guérir les crises
d'épilepsie hystériques et menstruelles.
Adolph Von BAEYER dès 1864 inventa l'acide barbiturique auquel il donna le nom d'une de ses conquêtes féminines (Barbara). On se mit alors à utiliser le Véronal comme sédatif.
En 1882, Albertoni décrit la production de crises d'épilepsie expérimentales chez le chien induites par stimulation électrique du cortex, et confirme de cette manière les vertus antiépileptiques des bromures.
Dès 1905, Henrich BILTZ présentait devant la Chambre de Commerce de Hambourg une communication relatant le cours de la réaction du benzile avec l'urée en présence d'hydroxyde de potassium en solution hydroalcoolique,
réaction qui mène à la phénytoïne... découverte qui ne suscitera l'intérêt de la communauté scientifique que trente ans plus tard (Merritt et Putnam, 1938).
L'usage du Phénobarbital (Gardénal) remonte à 1912 (Hauptman) qui observa qu'un patient traité pour troubles nerveux avait moins de crises d'épilepsie sous ce médicament.
En 1937, SPIEGEL propose une technique d'électrochocs pour produire des convulsions expérimentales chez l'animal.
Dans les années qui suivirent la seconde guerre mondiale, la recherche fit tester des milliers de molécules : le là naquit la triméthadione en 1946, particulièrement efficace dans le petit mal.
Le Zarontin va apparaître en 1960.
Les années 60 virent l'introduction progressive des Benzodiazépines (1968 = Valium, 1975 = Rivotril, 1979 = Urbanyl). L'efficacité de la Dépakine fut découverte fortuitement en 1963. Le Tégrétol fut commercialisé en
1974.
Les recherches modernes se sont intéressées au métabolisme du GABA (système inhibiteur cortical) et ont abouti à la mise sur le marché du PROGABIDE puis du VIGABATRIN, ce dernier étant un inhibiteur de la dégradation
du GABA. Parallèlement la CHIRURGIE des épilepsies a bénéficié des progrès de l'imagerie (Scanner, IRM et PET).
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