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Histoires de la médecine

 

I. BOURBON AU XVIIIème SIECLE

 

Des maladies les plus communes, auxquelles sont sujets les habitants de l'Isle Bourbon.

M. CROUZIER

(Conseiller Médecin du Roi à l'Isle Bourbon)

in "Recueil périodique d'observations de Médecine, Chirurgie, Pharmacie &c., Décembre, 1757"

 

(note. Le texte est rédigé avec les règles d'orthographie de l'époque)

 

L'Isle de Bourbon ou Mascarin, est à 21 degrés quelques minutes de latitude et 80 degrés de longitude. Elle a environ 55 lieues de circuit ; sa figure est oblongue ; les plus grandes chaleurs qui y règnent, sont depuis le mois de Décembre jusqu'au mois d'Avril...

 

Parmi les maladies les plus communes que l'on y observe, celles qui font le plus de ravages sont les maladies convulsives ; on est, par exemple, dans ce pays fort sujet à la crampe, qui se déclare ordinairement dans les personnes qui ont été blessées ; ce qu'il y a de singulier, c'est qu'on ne ressent aucune atteinte de cette maladie spasmodique, tant que la plaie est ouverte, mais dans le tems seulement qu'elle se cicatrise. Ces crampes sont si familières dans cette Isle, qu'elles suivent non seulement les blessures, mais même la moindre écorchure ou piquûre que l'on se fait aux différentes parties du corps. Si le blessé se lave avec de l'eau froide, ou qu'il s'expose à l'air froid des montagnes, dans le tems que la cicatrice commence à se faire ; pour lors les convulsions sont infaillibles, et même mortelles. Les piquûres sont beaucoup plus dangereuses que les blessures, surtout aux pieds ; il n'y a que celles qui sont faites par les épines et les dattiers, qui n'ont pas de suites fâcheuses. Lorsque quelqu'un, après une blessure ou une piquûre faites à quelque partie du corps, sur-tout aux endroits membraneux et tendineux, s'expose à l'air froid, ou se lave dans l'eau froide ; alors il ressent une très-vive douleur à l'endroit de la piquûre qui se communique de là à l'épine, au dos et à la tête ; immédiatement après la mâchoire inférieure s'engourdit et entre en convulsion et tout le reste du corps devient également convulsif ; si l'on ne recourt pas le malade promptement, il périt dans des convulsions horribles ; on a coutume alors d'employer les cordiaux, les sudoriques, les frictions avec du linge chaud, les ligatures ; si tout cela ne réussit point, on rouvre la plaie avec un fer chaud : ce remède a sauvé beaucoup de personnes.

 

Les convulsions et les mouvements spasmodiques ne sont pas toujours les suites des blessures et des piquûres, ils surviennent qulequefois après les purgations, qui sont cependant fort douces ; ce qui me fait croire que dans le traitement des maladies de ce pays, on ne doit pas perdre de vue les remèdes parégoriques, narcotiques, hypnotiques, les anti-hystériques, et tous ceux qui peuvent calmer les nerfs. Cette maladie paroissoit autrefois plus dangereuse qu'elle n'est à présent ; on voyoit assez communément des nouveaux-nés périr deux ou trois jours après leur naissance, par des convulsions violentes ; les adultes étoient enlevés rapidement par des espèces de coliques convulsives  et quand ils en réchappoient, ils restoient contrefaits dans quelques parties de leur corps ; il y a à présent dans l'Isle de Bourbon un grand nombre d'habitans, qui sont estropiés de leurs membres, après avoir essuyé quelques attaques de nerfs. L'épilepsie, les vapeurs hypochondriaques et hystériques y sont très fréquentes, et le plus souvent incurables.

 

On ignore ce qui peut donner lieu à ces maladies des nerfs ; on croit que c'est le grand usage de la tortue qui doit y contribuer ; je crois qu'il n'en faut pas chercher d'autres causes, que les grands excès que faisoient les habitans ; du vin de miel, de l'Arac ou du tafiat ; si avec cela on fait attention à la température du pays, qui est extrêmement chaude, et à l'air toujours chargé de particules sulfureuses et bitumineuses, on trouvera la source de cette irritation générale du genre nerveux.

 

Les femmes de Mascarin sont très sujettes aux fleurs blanches, je crois que la manière dont elles sont accouchées, y peut donner lieu ; ce qui pourroit le persuader, c'est que toutes les femmes qui se mêlent d'accoucher, laissent presque toujours quelque déchirement dans ces parties ; les femmes qui n'ont point eu d'enfans, et les filles, ne sont point sujettes à cette évacuation contre nature ; ajoutez à cela que dans cette Isle les femmes se baignent dans toutes sortes de tems, même avec leurs règles ; et quand après avoir essuyé les chaleurs brûlantes de nos sables, elles rentrent dans leur maison, que l'on a soin d'arroser à chaque instant, aussitôt elles se trouvent saisies d'un froid d'autant plus sensible, qu'elles viennent d'éprouver une chaleur plus vive. Toutes ces causes réunies, suffisent pour produire cette maladie habituelle chez les femmes.

 

L'asthme est très commun dans cette Isle ; les enfans, les adultes et les vieillards n'en sont pas exempts ; le grand usage du caffé contribue beaucoup à cette maladie ; on en prend à toutes sortes d'heures dans la journée, et on sçait que cette boisson n'accomode ni les nefs ni la poitrine.

 

La phtisie, que l'on voit assez fréquemment dans ce pays, n'est point une maladie chronique comme partout ailleurs ; elle parcourt ses différens périodes avec toute la vivacité d'une maladie aiguë, et l'on n'en réchappe jamais qu'en quittant cette Isle.

 

Les habitans de Mascarin sont très bien constitués, de belle taille, bien proportionnés ; mais ils ont le teint jaune, et une jaunisse habituelle ; aussi les obstructions au foie y sont-elles assez communes, et presque tous ceux qui périssent, de quelque maladie que ce soit, ont toujours eu le foie en mauvais état.

 

La maladie la plus terrible, à laquelle sont exposés les habitans de cette Isle, est une espèce de lèpre d'autant plus à craindre, qu'elle est incurable, et qu'elle couvre le malade d'ulcères, et de maux plus terribles que la mort.

 

Cette maladie commenca par des taches qui surviennent à différentes parties du corps ; elles sont de différentes couleurs, tantôt jaunâtres, tantôt rougeâtres, et quelquefois livides, accompagnées d'une espèce d'élévation à la peau ; on s'apperçoit dans le même tems, ou bientôt après, de quelques glandes qui se tuméfient à l'habitude du corps ; cet état n'empêche cependant pas le malade de templir toutes ses fonctions, de continuer ses travaux ordinaires ; insensiblement les phalanges, tant des doigts des pieds que des mains, prennent une grosseur considérable ; les pieds et les mains s'enflent, de façon que le malade ne peut plus s'en servir ; il survient sur tout le corps des tumeurs dures, qui ne sont ni adhérentes ni douloureuses ; elles grossissent et s'ulcèrent sur-tout aux extrémités ; enfin elles dégénèrent en véritables ulcères chancreux, qui n'occasionnent cependant aucune douleur. Ces symp  tômes s'observent surtout aux doigts des pieds et des mains, qui en sont insensiblement ou rongés, ou détruits ; le malade devient enchifrené, la racine du  nez grossit, les os s'y carient, et il en découle une sanie d'une fétidité insupportable ; les lèvres grossissent prodigieusement ; le front, les cils, les paupières s'élèvent, et le visage se change en un masque hideux, capable d'inspirer l'horreur et l'effroi ; tout le corps devient d'une maigreur si grande, que l'on voit les os percer à travers la peau, qui est sèche, aride, rude au toucher, parsemée de durillons de différentes grosseurs, et de taches noires ou livides. Il y a de ces malades qui ont tant d'ulcères sur le corps, que l'on croiroit que cette maladie n'est qu'un cancer universel ; dans ces derniers états, le malade ne fait aucune de ses fonctions ; il n'a point d'appétit, point de sommeil, il ressent des foiblesses et des envies de vomir continuelles, accompagnées de tranchées ; le pouls du malade ne paroit cependant que peu, ou point hors de l'état naturel ; et ce qu'il y a de fort singulier, est qu'il périt sans avoir de fièvre : si on le fait saigner au commencement, c'est-à-dire, lorsqu'il n'a encore que les taches sur la peau, le sang que l'on lui tire paroît fort beau ; mais lorsque la maladie est avancée, il acquiert pour lors une couleur noirâtre, d'une consistance de gelée corrompue ; les filles qui sont attaquées de cette maladie avant l'âge de puberté, sont privées de leurs règles pour toujours.

 

Cette maladie, que j'ai décrite après l'avoir observée avec tout le soin possible, n'est pas contagieuse comme le disent la plupart des auteurs, au sujet de l'Elephantiasis ; le mari ne la communique point à la femme ; et j'ai vu deux ou trois de ces lépreux habiter avec des familles entières de personnes saines, et ne leur donner aucun germe de cette maladie. La contagion ne se répand que des pères et des mères aux enfans, et des nourrices aux petits enfans qu'elles allaitent ; aussi cette maladie est héréditaire, et non pas contagieuse.

 

Si l'on pouvoit espérer quelque guérison dans une maladie qussi cruelle, il faudroit nécessairement s'y prendre dès le commencement ; mais malheureusement les progrès en sont si imperceptibles, que le malade lui-même ne s'en appreçoit pas ; il ne sent aucune douleur, et fait très bien les fonctions long-tems après qu'il a paru sur son corps ces taches jaunâtres ou livides que j'ai décrites ; ainsi tous les efforts qu'on fait jusqu'ici les médecins, ne tendent qu'à calmer les symptômes et à calmer le mal.

 

On a coutume d'employer dans cette maladie les purgatifs répétés, les émétiques les plus violens, le mercure intérieurement, et en frictions, et les sudorifiques de toute nature ; par l'usage de ces remèdes on parvient à nettoyer la peau, à faire disparoître quelques taches et quelques petites tumeurs ; mais la maladie n'en devient que plus rebelle, et les progrès qu'elle fait après sont beaucoup plus rapides.

 

Ayant observé que tous les moyens que l'on avoit mis en usage étoient infructueux, et après avoir réfléchi sur les symptomes qui accompagnent cette maladie, j'ai cru devoir recourir à toute autre méthode ; la corrosion manifeste des humeurs m'a fait opiner à prescrire les délayans, les humectans, les ansorbans et les apéritifs ; j'ai observé en même tems de placer à propos des purgatifs : je n'ai point réussi à guérir ces sortes de malades ; mais au moins je suis parvenu à leur donner du soulagement, en arrêtant le progrès de leur mal, et en appaisant la violence des symptomes.

 

Les naturels du pays se servent ordinairement pour les taches qui viennent à la peau, du précipité blanc, du sublimé corrosif, des caustiques et du cautère potentiel : on est parvenu quelquefois à détruire par ce moyen ces taches ; mais la maladie n'en augmentoit pas moins. Quelques uns ont employé les fondans à l'intérieur, pour dissiper les tubercules de la peau ; bien loin de produire les effets que l'on auroit souhaité, ils ont occasionné un ulcère sordide, qui distilloit une matière rougeâtre et qui étoit accompagnée d'une dûreté sur les bords de la plaie, et d'une insensiblité totale de la partie.

 

Le parti le plus sage et le plus prudent dans ces climats, pour éviter d'être attaqué de cette maladie, c'est de s'abstenir de tous les alimens chauds, et de toutes les liqueurs spiritueuses, de faire usage des boissons délayantes et légèrement acides en grande abondance, d'avoir recours dans les commencements aux bouillons apéritifs et aux purgatifs les plus doux, réitérés selon les besoins.

 

Il règne encore dans l'Isle de Bourbon des diarrhées, des dyssenteries, des fièvres intermittentes, qui n'ont aucun caractère différent de celles que l'on observe en Europe.

 

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