[Accueil]

Webmaster

Histoires de la médecine

 

V.   HISTOIRE DE L'ANALGESIE ELECTRIQUE

 

A. LE POISSON ELECTRIQUE

 

L'utilisation des techniques de neurostimulations électriques à visée antalgique a retrouvé une certaine mode ces dernières années, mode accentuée par les découvertes concernant les voies de la douleur et tout particulièrement les mécanismes de contrôle au niveau de l'entrée médullaire de l'information ("gate control theory" de Melzak et Wall). Cependant l'utilisation de l'électricité comme moyen de combattre les sensations douloureuses est très ancienne. Les plus anciennes applications de cet effet antalgique concernent les applications de poissons électriques.

 

Ainsi, on peut voir le poisson chat du Nil figurer sur les décorations des tombes égyptiennes de la Vème Dynastie, 2750 ans avant J.C.. La littérature grecque fait état de la raie torpille, poisson réputé capable de produire un engourdissement. Ainsi on peut lire dans Aristote : "On sait que la torpille est capable de produire un engourdissement même chez les êtres humains". A noter que le mot "Torpille" vient du mot latin "torpere" = provoquer une léthargie. On retrouve notion des effets de la torpille dans les écrits de Pline (Histoire naturelle) et Plutarque.

 

Les médecines traditionnelles recommandaient de prendre oralement de nombreuses parties de poissons électriques. Scribonius Largus, médecin romain du premier siècle, a laissé une trace écrite de ses oeuvres qui fut publiée en 1529 (De Compositionibus Medicamentorum) conseillait une électrothérapie en piscine pour le traitement de la douleur : "Pour toute douleur goutteuse, il faut placer sous son pied une torpille noire vivante. Le patient doit se tenir sur un rivage humide d'eau de mer, et y demeurer jusqu'à ce que son pied et sa jambe jusqu'au genou soient engourdis. Ceci permet de traiter la douleur et de prévenir sa récidive. C'est ainsi que Anteros, affranchi de Tibère, fut guéri... Les céphalées, même chroniques, sont guéries en mettant une torpille noire à l'emplacement douloureux jusqu'à sédation. Il faut n'enlever le remède que apparaît une certaine torpeur".

 

Il s'avère que les stimulations des poissons sont proches des stimulateurs actuels : voltage entre 1 et 350V (Torpille 40 à 50V), fréquence de stimulation variable.

 

Claude Galien (131-210 après J.C.) étudia le poisson électrique vivant et mort. Le poisson mangé ne produit aucun soulagement, mais l'application d'un poisson vivant est efficace : "Ce remède semble anodin et susceptible de libérer le patient de sa douleur, tout comme les autres remèdes qui engourdissent les sens". La torpille fut aussi utilisée par Marcellus Empiricus, Aetius d'Amida, Alexandre de Tralles, Paulus Aeginata et bien d'autres.

 

Au XVIIème siècle, Redi, Perrault, Richer, Borelli et Lorenzini ont rapporté l'engourdissement provoqué par la torpille. Lorenzini décrit "semblable à la douleur et l'engourdissement sentis lorsqu'on se cogne le coude".

 

 

B. LES APPAREILS ELECTROSTATIQUES

 

Dans les 150 années qui ont suivi le construction en 1650 par Von Guericke d'un appareil électrostatique, de nombreux progrès furent apportés à la méthode. Ainsi un progrès notable survint en 1745 avec l'invention de la "bouteille de Leyde" par Musschenbroek. Dès 1744, Kratzenstein appliqua cette électricité "artificielle" en médecine. Walh (1773) et Cavendish (1776) publièrent les premiers la description des effets "engourdissants" des machines électriques.

 

Au dictionnaire de médecine de James traduit par Diderot (1748) on peut lire que la torpille prise dans la Méditerranée "appliquée sur la tête dans les maux de tête invétérés, en calme la violence. Elle empêche aussi la chute de l'anus ou y remédie en l'appliquant de même sur la partie".

 

John Wesley, fondateur de l'église méthodiste, était un supporter enthousiaste de l'électrothérapie, et fabriqua une machine électrostatique. Dans un ouvrage populaire (The Desideratum, 1760), il décrit les applications médicales de l'électricité. Il rapporte des cas cliniques soulagés par l'électricité. On accepta par la suite l'électricité comme traitement de la paralysie, de la mauvaise circulation des fluides vitaux, les dysfonctionnements du principe vital, la diminution de la sudation. Mais les critiques étaient nombreuses, et ainsi Van Marum démontra que les effets supposés de l'électricité sur le pouls et la sueur ne dépendaient pas du seul stimulus.

 

C. LES PILES ELECTRIQUES

 

L'apparition des batteries provoqua une floraison d'indications thérapeutiques pour les courants "Voltaiques" ou "Galvaniques" et "Faradiques". Ainsi Duchenne et Golding Bird se firent les champions de cette thérapeutique... tout en négligeant les effets analgésiants. Un déclin de l'engouement pour les thérapeutiques électriques suivit.

 

En 1858 un médecin de Philadelphie, Francis, fut le premier à décrire l'analgésie dentaire électrique : l'électrode était appliquée sur la dent et le patient tenait l'autre électrode. Furent commercialisés l'appareil de Neef ("induction apparatus") et de Stohrer (générateur électromagnétique), capables de fournir des courants brefs ou alternatifs. Francis rapporta 164 extractions dentaires indolores avec l'usage de courants galvaniques, et sa technique se répandit un peu partout. Garratt utilisait cette technique à Boston en 1858 et recommandait le générateur connu sous le nom de "Mr. Hall's Apparatus" : 1/3 des patients n'avaient aucune douleur, 1/3 amélioration d'une douleur préexistante, le reste amélioration discrète. Il recommandait l'analgésie électrique dans les névralgies périphériques, les hyperesthésies, la névralgie faciale, les douleurs d'origine dentaire ou mandibulaire. Il recommandait de poser les électrodes à la périphérie de la zone douloureuse et de laisser 3 à 5 minutes un courant "juste supportable". W.G. Olivier à Buffalo en 1857 affirmait avoir découvert l'anesthésie électrique ; il s'ensuivit une guerre de brevets avec Francis. Cette technique fut décrite par Hamilton le 10 Février 1858 pour une opération d'ulcère de jambe. Thomson décrivit plus tard que les sensations de chaud et froid étaient les dernières à disparaître sous anesthésie électrique. Des applications furent décrites en obstétrique. En Angleterre Althaus fut le premier à utiliser cette nouvelle "électroanesthésie" en 1858. Il nota que, dans les situations pathologiques, l'anesthésie était plus rapide que dans les situations normales.

 

Les controverses apparues avec cette nouvelle technique conduisirent à une réunion spéciale du Collège des Dentistes de Londres le 12 Octobre 1858 ; l'atmosphère générale était au scepticisme, et des recommandations furent écrites : Premièrement, l'électricité n'est pas un agent anesthésique. Deuxièmement, elle augmente la douleur. Troisièmement, l'électricité modifie parfois la perception. Quatrièmement, les résultats favorables sont le résultat de "diversion" et non d'une véritable insensibilité. Une commission spéciale dirigée par Richardson fut créée... elle conclut dans le même sens malgré de nombreux résultats positifs, mais systématiquement interprétés comme "erreurs" ou "syncopes". Cependant un membre de la commission, Purland, revint sur ses conclusions après un succès personnel lors d'une extraction dentaire. Une étude de Harding sur 40 patients subissant des extractions dentaires fut un succès dans tous les cas. Cette technique fut introduite en France en Septembre 1858 par Francis, puis en Allemagne et en Italie. Velpeau concluait que "il n'y a pas d'anesthésie produite, et qu'il y a quelque chose dans les dents américaines qui n'est pas comme dans les dents françaises". Par la suite, les résultats incertains aboutirent à un abandon progressif de la technique... qui fut dès lors périodiquement redécouverte.

 

D. LE VINGTIEME SIECLE

 

Peterson et Le Duc "redécouvrirent" l'électro-anesthésie locale sans connaître les études précédentes. Peterson nota que les fréquences au dessus de 2000 Hz étaient plus efficaces. Robinovitch recommandait les courants plutôt que l'anesthésie générale, même pour les amputations (40V, 40 mA, 100 Hz). En 1928, Thompson et Inman signalent que la stimulation transcutanée d'un nerf peut rendre insensible le dermatome de ce dernier. En 1948, Paraf rapporta une thérapeutique efficace de 127 patients : lumbagos, sciatiques, névralgies post-herpétiques, névralgie faciale. L'analgésie locale resta "dormante" jusqu'à Wall et Sweet (1967) et les débuts des publications sur le "gate control". Dans le même temps, et sans relations, les cliniciens chinois introduisaient l'analgésie électrique dans l'acupuncture.  

 

[Anatomie du Système Nerveux] [Les Grandes Fonctions] [Explorations et Pathologie] [Histoires de la médecine] [Glossaire] [Téléchargements]