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Histoires de la médecine

 

VI. HISTOIRE DE L'ALCOOLISME

 

A. GENERALITES

 

Al'kohol est un mot arabe signifiant quelque chose d'immatériel, "esprit"

 

Symbole du sang de Dieu ou Venin de Satan, subtil, menteur, trompeur, l'alcool est celui qui libère et celui qui asservit, celui qui fait le riche et le pauvre, tour à tour miel et fiel, pourvoyeur de joies, de peines, de génies, de folies.

 

"Il n'existe probablement aucun temps ni aucun pays où l'on n'ait fait usage, dans des occasions déterminées, ou même sans occasion aucune, de boissons alcooliques et cela, toujours dans le même but et très souvent avec le même résultat : arracher l'âme, fût-ce de force, à la vie de tous les jours, et la diriger vers une autre voie, où elle n'est plus tenue à l'étroit entre les murs de la plate monotonie quotidienne et ordinaire, où elle n'est plus écrasée par des impressions tristes ou désagréables, d'aucune sorte, mais par où elle accède au contraire à la gaieté, au bonheur momentané et aussi à l'oubli."(Lewin, Les Paradis Artificiels, Payot, Paris, 1928)

 

Les Etats Unis annoncent 50 millions d'alcooliques, l'URSS 40 millions.

 

"Quand il y aura un vrai médecin philosophe, chose qui ne se voit guère, il pourra faire une puissante étude sur le vin, une sorte de psychologie double, dont le vin et l'homme composent les deux lutteurs sans cesse combattants, sans cesse réconciliés. Le vaincu embrasse toujours le vainqueur" (Baudelaire, Les Paradis Artificiels)

 

B. L'ANTIQUITE

 

1. SUMER ET AUTRES

 

D'après une légende Laotienne, l'origine de l'alcool est dans des pigeons verts ayant laissé tomber quelques grains de riz au creux que forment trois branches... les oiseaux buvant cette eau s'enivraient, puis les singes... puis un chasseur qui passait par là... puis il en fit goûter au roi.

 

On suppose que dès le néolithique les hommes ont dû faire usage de boissons fermentées. Il est possible que la première boisson alcoolique ait été l'hydromel. Dans les hordes primitives, le rite du sang (boire le sang du vaincu) au petit à petit fait place au rite de l'alcool, procurant des bienfaits "identique" et investi d'une valeur sacrée.

 

La Bible raconte l'histoire de Noé, cultivateur de vigne à la fin de sa vie et trouvé ivre nu par ses enfants (récit contesté par les intégristes islamiques pour lesquels Noé est un prophète de l'Islam).

 

4000 ans avant notre ère, la bière était connue à Babylone, Nidaba étant la déesse de la bière (bière : Shikaru). L'on faisant fermenter à la chaleur du grain germé dans de l'eau, on concassait le malt et on le pressait en sortes de pains pour transport et conservation. Il suffisait d'émietter ces pains et d'y ajouter une levure pour que le liquide se transforme en bière. On buvait alors directement au tonneau la bière fraîchement préparée. Les cabaretiers (Sabu) tenaient de véritables maisons de débauche.

 

3000 ans avant JC, la bière était la boisson nationale de l'Egypte. Le repas type consistait en Pain & bière : le mot repas se disait "pain-bière". Les apprentis scribes s'enivraient en beuveries collectives. L'exploitation des brasseries était de monopole royal.

 

Les Indiens du Pérou préparaient plusieurs boissons fermentées (Chicha) à base de maïs ou de mollé : elles servaient aux grands prêtres et aux guerriers. Les femmes récoltaient les grains et les mâchaient pour mêler la pulpe à la salive, produit direct de l'âme. On versait alors les graines mâchées dans une peau de chèvre emplie d'eau chaude, en la laissant une nuit tout en chantant des chants magiques. Seuls les hommes participaient aux grandes orgies saisonnières qui suivaient. S'enivrer était posséder l'esprit bon.

 

Les Aztèques connaissaient le Pulque, tiré du Maguey (sorte d'agave), utilisé au cours de sacrifices humains avec arrachement de coeur. On arrachait le pédoncule floral de la plante (son coeur) pour préparer le sacrifice humain.

 

En Afrique noire, les bantous extrayaient d'un arbre sacré "nkagne" une sorte de boisson fermentée,  nommée "bokagne" donnant lieu à des cérémonies durant plusieurs semaines. On buvait jour et nuit pendant des bacchanales-carnaval.

 

Les barbares de Gaule connaissaient la cervoise mais ignoraient tout du vin.

 

2. ORIGINES DU VIN

 

Selon Diodore, c'est Osiris qui donna aux Egyptiens la connaissance de la vigne (3000 av JC). Les grecs l'attribuent à Dionysos, mais l'apprirent très probablement des Egyptiens. La Mésopotamie compte parmi les premières régions vinicoles.

 

La culture de la vigne était sévèrement contrôlée par l'Etat égyptien.

 

A Babylone, existait sur l'Euphrate une "route du vin". L'apparition en Chine fut plus tardive... ils préféraient le vin de riz (houang-tsiéou), connaissaient la bière, et le malt de millet. En Inde, le vin apparait au IIème siècle, mais semble avoir existé en des temps bien plus reculés.

 

3. LES DIEUX ONT SOIF

 

Le pouvoir temporel et religieux étaient mélés. Tout bien était divin, donc les boissons alcooliques aussi.

 

Parallèlement, les abus de boissons alcoolisés entraînaient déjà des interdits (dès le bas empire égyptien). Hammourabi, fondateur de l'empire babylonien, 1700 ans avant JC, avait consacré 4 articles de son code au caractère malfamé de l'ingestion de bière dans les tavernes ou  maisons de débauche.

 

C. LE DIEU VIN

 

1. DIONYSOS

 

Fille de Cadmos Roi de Thèbes, Sémélé fut remarquée par Zeus. Un jour Sémélé supplia Zeus de se monter dans son olympique majesté. Elle ne put supporter l'éclat de son amant et en mourut, consumée par les flammes sortie de Zeus. Un lierre épais s'interposa miraculeusement entre l'enfant qu'elle portait et la flamme céleste. Zeus recueillit l'enfant non encore à terme et l'enferma dans sa cuisse. Quand les temps furent révolus, il l'en tira et cette double naissance valut à "Zeus de Nysa" l'épithète de Dithyrambos. Hera, jalouse, tenta de nuire à Dionysos. Zeus le sauva en le métamorphosant en chevreau qui fut remis par Hermès aux nymphes de Nysa ; ces dernières furent pour leur récompense changées en constellations.

 

Quand il fut grand, Dionysos découvrit le fruit de la vigne et l'art d'en tirer du vin. Il entreprit alors de longues courses à travers le monde pour faire connaître aux mortels le don inestimable du vin. Il rendit visite au roi Icarios d'Attique, au roi Dion en Laconie, fut enlevé par des pirates, rencontra Ariane abandonnée par Thésée dans l'île de Naxos et l'épousa. Il dompta les Centaures en les soûlant. Il réunit les deux rives de l'Euphrate avec un câble fait de sarments de vigne et pénétra en Inde.  Enfin, après mille autre exploits, il alla rechercher sa mère Sémélé aux enfers.

 

Dionysos était honoré dans toute la Grèce. Son vin était "eau de vie", symbole de fertilité, de sexualité. Les cultes étaient toujours à caractère érotique. les "phalliques" étaient des fêtes en l'honneur de Bacchus. Les fêtes Dionysiaques avaient lieu la  nuit, dans les montagnes, avec chants, gémissements, hurlements des victimes qu'on déchirait et qu'on mordait. Les grandes dionysies avaient lieu en Mars-Avril. Les danses avaient valeur d'exorcisme et d'initiation.

 

Parallèlement, les arts et les lettres entretenaient l'image de ce jeune homme la coupe à la main, Hippocrate déclarant que l'on apaise la faim par la boisson du vin. La naissance de la poésie lyrique à l'île de Lesbos mêle les thèmes de l'amour, du vin et de la politique. Arion crée le chant choral consacré à Dionysos : le dithyrambe. Au banquet platonicien, le symposium se comporte de 2 parties : deipnon (prologue) suivi de sympotos (beuverie commune).

 

2. BACCHUS

 

Les orgies dionysiaques furent introduites à Rome par les Grecs. Ceux qui tentaient de se soustraire étaient immolés. Les matrones, hystériques, couraient vers le Tibre en y jetant des torches allumées. Les hommes, ivres, pris de démence, prophétisaient. Le Consul Postumius, épouvanté par une enquête, ordonna un procès et des milliers de condamnés furent exécutés. En 186, le Sénat interdit la célébration des Bacchanales.

 

A Rome et en Italie, le vin était interdit aux femmes. Il leur était même interdit de toucher les clefs de la cave.

 

Virgile et Horace ont écrit de nombreux chants et odes relatifs au vin. Pour Ovide "malheur à ceux qui commirent la sage folie de boire de l'eau"... ce qui n'était pas forcément idiot en raison du l'aseptie d'une boisson alcoolisée.

 

Les sarcophages étaient décorés de scènes de foulage, d'images de Bacchus. Puis les sépulcres se transformèrent en Jarres et Amphores, voire cuves à fouler (lénos).

 

En fait, tout portait Bacchus à ce symbole d'immortalité, naissant et renaissant sans cesse, l'ivresse menant l'homme aux confins de la mort.

 

Nous arrivons au grand tournant du Christianisme : "Je suis la vigne... voici mon sang... Prenez et buvez en tous, ceci est mon sang livré pour vous", tous les symboles chrétiens rejoignant donc la mythologie dionysiaque.

 

3. DIONYSOS CHEZ LES BARBARES

 

Dionysos s'introduit partout :Thrace, Rhin, Danube, Iles Britanniques, Espagne. Les barbares ne connaissaient que les boissons fermentées à base d'orge, de grains, d'hydromel. En Dalmatie, il s'appelait Sabazios, dieu de l'ivresse sacrée. En Irlande, il fut Braciaca, puis Dagdé. Chez les Gallois, Bran.

 

Les empereurs romains s'adonnaient volontiers aux abus alcooliques : Tibère fut surnommé "biberius", Caligula, Néron, Trajan buvaient à en perdre la raison. Jovien succomba à une intoxication aiguë... Elisabeth de Russie buvait jour et nuit.

 

D. LE VIN DIEU

 

1. LA BIBLE ET SES INTERDITS

 

Esaü écrit "malheur à ceux qui, dès le matin, se mettent en route en quête de boissons enivrantes". Le livre des proverbes décrit les méfaits de l'ivrognerie...mais conclue "donne moi dix-huit coupes de vin, vois, j'aime l'ivresse". 

 

2. LA VIGNE ET LE VIN ARCHES D'ALLIANCE

 

Dans l'histoire du peuple élu s'enracine le symbolisme religieux de la vigne qualifiée par Yahvé "vigne du seigneur". C'est le signe de la nouvelle alliance entre l'homme et Dieu. "Lorsque tu seras arrivé dans ce pays où sont les vignes, n'aie garde d'oublier Yahvé". La plantation de la vigne, c'est l'élection d'Israël. La stérilité de la vigne, c'est le châtiment mérité pour les infidélités du peuple hébreu. Le symbolisme de la vigne continue avec Jésus "Je suis la vraie vigne et mon père est le vigneron". 

 

3. LES TEMPS NOUVEAUX

 

Le nouveau testament change la symbolique de la vigne : elle n'a d'intérêt que pour le vin qu'on en tire. Le Christ est lui même la vigne vivante dont le sang sera répandu sur le monde pour le sauver. Le vin est donc signe de boisson précieuse, exception de fête (Cana) à la banalité de l'eau. Le vin est le sang versé, le don de vie fait aux hommes... et il n'est plus grande preuve d'amour que de donner sa vie. Le vin est un don. Le pain (aliment banal) est lié au vin (boisson exceptionnelle de fête), leur liaison est symbole de l'ampleur du don.

 

La tradition chrétienne provoque donc une culture de la vigne non pour des débauches, mais pour la consécration de l'amour : la communion.

 

E. PAX ROMANA

 

1. COMMERCE ET COLONISATION

 

Il ne poussait pas de vigne en Gaule. Les Romains vainqueurs devinrent promoteurs d'un élan viticole, à la fois 'alcoolonialisme' et ruée vers l'or. Les Gaulois eurent vite la réputation d'aimer beaucoup ce "piot". Selon Timagène "cette race a la passion du vin". A la bataille de Métaure, les romains surprennent les gaulois ivres et les égorgent.

 

Ce goût affirmé pour le vin faisait déjà la fortune de Marseille qui devint vite l'avant port du commerce vinicole de la Gaule. Le commerce s'étendit vers Genève par la grande voie du Rhône, mais aussi vers Bordeaux avec le passages d'amphores descendant au fil de l'eau depuis la région de Narbonne.

 

La vigne était réservée aux envahisseurs. Seuls les "nostri homines" avaient droit à tout, et donc à cultiver la vigne. Déjà étaient plantés les raisins de la colère, les taxes sur les vins rapportant des sommes énormes.

 

Après la conquête, les Gaulois se mirent à chercher des cépages permettant une culture plus septentrionale. La région de Vienne sur le Rhône vit apparaître l'"allobrogica", raisin noir mûrissant avec les gelées. Son vin acquit une renommée universelle sous le nom de "picatum"... ce fut le début de la publicité.  Les amphores de Campanie portaient ce slogan "Parce Picatum, da Amineum" (laisse le picatum, sers-nous du falerne). Mais un autre plan concurrent venait d'apparaître à Bordeaux, le Biturica !... dont la renommée allait s'étendre à tout le monde romain et conquérir l'Angleterre et l'Irlande. Apparut un immense commerce d'exportation de Bordeaux vers les Iles Britanniques... Les vins Gaulois alors inversent le sens du commerce et commencent à se vendre à Rome. Les énormes profits liés au commerce du vin poussèrent les gaulois à arracher le blé et autres cultures nourricières pour la vigne.

 

En 92, l'empereur Domitien promulgua un édit interdisant la plantation de nouveaux pieds de vigne en Italie et ordonnant l'arrachage de la moitié des vignes de Gaule. Cet édit "désastreux" condamna à boire de la bière et de l'hydromel pendant deux siècles, jusqu'à Probus (277) qui rendit aux Gaulois le droit de replanter la vigne pour les remercier de l'avoir aidé à repousser les envahisseurs barbares. Cependant un vignoble important apparut en Bourgogne et fut à l'origine d'un fructueux commerce. En fait, l'édit de Domitien améliora la qualité des vins. Toute la Gaule du Nord se mit à cultiver la vigne.

 

2. DECADENCE ROMAINE

 

Ce qui a sauvé le vin, c'est son statut religieux. Même sans christianisme, les empereurs interrompaient leurs chasses pour aller vendanger. Chaque résidence impériale crée un vignoble. Toute maison habitée par de hauts personnages devient vinicole.

 

F. LE MOYEN AGE

 

Le vin est devenu pour la nouvelle religion la boisson indispensable au culte. L'extension du christianisme est liée à l'extension de la vigne. L'extraordinaire prolifération du vignoble est le fait des évêques et des moines.

 

De même, les seigneurs sont sensibles au respect que donne la culture d'une boisson indispensable aux saints mystères, et favorisant aussi liesse et enthousiasme. Clovis, en 498, boira à Reims le "vin de sacre" dont la tradition durera 1300 ans.

 

L'évêque est à la fois le premier personnage et le premier viticulteur. Il dirige la culture et en monnaie le produit. Saint Germain cultive sa vigne, l'évêque d'Orléans Théodulfe est nommé "pater vinearum". Les besoins en vin sont immenses, la communion étant donnée sous les deux espèces.

 

C'est l'évêque qui recevait les voyageurs importants et leur gardait un "vin d'honneur". Cette culture épiscopale fut augmentée par le concile d'Aix La Chapelle en 816 qui adjoint à l'évêché un collège de chanoines, leur cloître cultivant la vigne.

 

En effet, les moines sont tenus à la culture de la vigne pour les mêmes raisons que l'évêque. Les projets d'itinéraires étaient une succession d'étapes monastiques, avec nécessité de bonne chère et bon vin. Les fondateurs de monastères choisissaient le site en fonction de la vigne : Cluny, Citeaux. Les papes d'Avignon refusèrent de retourner à Rome, "où il n'y a pas de vin de Beaune". Les hospitaliers de Saint-Jean établirent leur première commanderie à Pommerol.

 

Parallèlement les moines inventèrent les liqueurs, et le Champagne. Dom Pérignon, moine aveugle de Hautvillers, sut obtenir du vin blanc à partir de raisin noir, mélanger les cépages, et se mit à chercher comment retenir le vin à un certain moment d'aération et conserver cet effet. C'était impossible avec les bouchons d'alors, le bois enveloppé de chanvre et trempé dans l'huile d'olive qui empêchait les gaz de l'échapper. Un jour de légende des moines espagnols vinrent rendre visite à l'abbaye et il remarqua que leur bouteille d'eau était bouchée avec l'écorce de liège.

 

Les moines furent les premiers à fabriquer "l'eau de vie", distillerie très difficile et onéreuse jusqu'au XVIIème siècle. Des moines irlandais inventèrent le Whisky, dont le premier distillateur connu est moine écossais.

 

Les moines sont alors réputés pour leur intempérance : "boire en templier, c'est boire à plein gosier. Boire en cordelier, c'est vider le cellier". La littérature du moyen âge fourmille d'histoires de moines ivrognes. Erasme accuse les moines de se gaver à en éclater, Luther parle de moine paresseux et ventru. Quant à François Rabelais, il était à la fois moine franciscain et médecin.

 

Beaucoup de saints provoquent des miracles de multiplication du vin : Eloi, Rémy, Airy.

 

Un homme de haute condition se devait de cultiver du vin. Les souverains médiévaux furent de grands viticulteurs. Puis les villes plantèrent des vignobles.

 

Les germains et les scandinaves mêlèrent la religion chrétienne du vin à leurs propres libations. Les rois de Norvège obligèrent leurs sujets à devenir chrétiens... et à d'énormes libations consacrées à Jésus, Marie, et aux Saints. Il en fut de même chez les missionnaires du Danemark.

 

Toujours est-il qu'en 1524 les princes de Trèves et du Palatinat fondèrent une société de tempérance. En France en 1536 François Ier émit un édit condamnant les ivrognes au cachot (1ère fois), au fouet (récidive) ou à la fustigation publique (troisième).

 

G. LE DEVELOPPEMENT DU COMMERCE

 

Jusqu'à la guerre de 1914, on ne buvait pas de vin dans les campagnes. C'est le quart de vin du soldat qui fit pénétrer le vin dans les campagnes, selon Pétain "c'est le vin qui a gagné la guerre".

 

En revanche, le citadin fit du vin sa boisson quotidienne dès le XIIème siècle, sa consommation n'ayant cessé d'augmenter depuis. Un maître buvant du vin se devait d'en fournir à ses serviteurs... le petit peuple fut encouragé à boire du vin. Les seigneurs furent donc obligés d'avoir des stocks, et furent autorisés à en vendre en franchise d'impôt "à huis coupé et pot renversé" (porte divisée en deux, à l'extérieur de la maison, l'acheteur ne pénétrant pas et faisant remplir un récipient par un pot).

 

Les tavernes, cabarets et hôtelleries pullulent, fréquentées par pèlerins, ribauds, ribaudes, ménestrels, charlatans de toutes sortes. Les marchands de boissons à la sauvette constituent une corporation pourvue d'un statut légal par Philippe Auguste. Villon, Clément Marot et son compère Ronsard hantent les tavernes, lieux où probablement Rabelais inventa Gargantua. Tout ce beau monde avait "l'esprit catholique et l'estomac Luthérien" (Erasme).

 

Henri IV va souvent au cabaret, pour savoir lui même l'opinion que l'on a de ses actions.

 

Parallèlement au commerce du vin, l'ivresse se répand. Les cabarets étaient réservés aux voyageurs selon l'interdit de Saint Louis "nul ne voise boire en taverne se il n'est Irepassant ou tel que il n'ait point de maison en la ville". Et Henri III "Deffenses seront faites et réitérées à toutes personnes de quelque estat qualité et condition qu'elles soient, de hanter et fréquenter les hostelleries, tavernes et cabarets des lieux où ils sont domiciliez". Ces édits furent d'application très relative  et dès Henri IV on parle des méfaits de l'ivrognerie... mais le trésor public s'enrichissait déjà grassement par l'impôt sur les débits de boissons. Au XVIIème siècle apparut à Paris une chose incroyable : une thèse de médecine condamnant l'usage du vin comme étant contraire à la santé... l'auteur ne put imposer ses vues.

 

L'accroissement fou de la consommation entraîna une viticulture populaire, recherchant plus la quantité que la qualité.

 

Des interdits de culture apparurent à nouveau en 1722 (parlement de Metz) et 1731 (Besançon). L'arrêt du 5 Juin 1731 interdit de nouvelles plantations de vin... ce qui entraîna multitudes de réclamations et une interprétation très variable de l'édit en fonction des régions. Dès 1750, Trudaine abolit cette loi.

 

 

H. L'EMPIRE DE LA BOISSON

 

Les vignerons plantaient du "gouai", plan à grand rendement donnant du vin de qualité inférieure.

 

Après le désastre de Pavie, François Ier fut prisonnier en Espagne et sa libération demanda une rançon énorme. Le gouvernement décida de taxer le vin à l'entrée de Paris et autres villes à 5 sols le muid (268 litres), taxe qui ne fut... jamais supprimée malgré tant de promesses. Elle ne fit qu'augmenter au fil des souverains.

 

Cet impôt était perçu aux portes des villes... mais où commençait Paris ? Les souverains commencèrent à jalonner la capitale par des bornes (Louis XIII, puis XIV). Les parisiens franchissaient ces limites pour aller boire dans des "guinguettes" le petit vin français. Au fil des ans, elles envahirent tous les pourtours de Paris et les ouvriers y venaient échapper à l'impôt sur le vin.

 

Sous Louis XVI, toute la ville buvait du vin. Les caisses étaient vides, l'impôt fut porté à 50 livres le muid ce qui quadruplait le prix. La fraude se développa alors très rapidement, souterraine ou aérienne. La ferme générale voulut élever des palissades, sans effet. Alors vers 1780 le pouvoir décida de construire un mur autour de Paris. Lavoisier s'occupa du mur... ce qui lui valut sa tête quelques années plus tard.

 

Le mur fut débuté au Sud, mais tout se gâta au Nord et se déclencha la guerre des barrières, attisée par les bistrots. L'insurrection commença le 11 Juillet 1789 et attaqua toutes les barrières, remportant ses victoires au cri de "Vive le vin à trois sous, à bas le vin à douze sous". Le Lendemain, c'était le tour de La Bastille.

 

Du Moyen âge à la révolution, les commerçants Hollandais jouèrent un rôle très particulier et important. Les progrès du commerce firent disparaître les cultures de la vigne dans les climats par trop défavorables (Nord, Normandie). La marine Hollandaise avait pleine possession du commerce, et étendirent leurs opérations à toutes les catégories de vins. Ils accroissaient la valeur des petits vins avec du sucre et du sirop. Les cépages de vins faibles se mirent à produire tant que le commerce en devint difficile. Il fallut stocker, ce qui entraîna la multiplication des techniques de distillation et la fabrication massive des eaux de vie. Les Hollandais firent de ces eaux de vie l'élément de coupage des petits vins. Ils en firent le cordial de leurs marins, ils furent à l'origine de la fabrication et de la commercialisation du cognac. Apparaissent aussi l'armagnac, le whisky, le gin, le rhum. Ainsi donc les marins furent les promoteurs intensifs du brûlage des vins, qui se généralisa au XVIIème siècle. 

 

I. LA MONTEE DES PERILS

 

De la révolution à la première guerre mondiale vont se succéder les événements majeurs de notre civilisation actuelle : machinisme, mutations technologiques, transports, qui vont modifier profondément les modes de vie.

 

Ce fut aussi la naissance de l'alcoolisme.

 

Jusqu'à cette mécanisation, la production restant aléatoire, l'ivresse existait mais l'alcoolisme n'était jamais massif : problèmes de transport, de stockage, de récoltes perdues. Les boissons alcooliques furent sacrées, puis le vin la boisson de l'élite.  D'autre part on mourait jeune, et les méfaits de 40 ans d'intempérance avaient peu de chance de se faire remarquer.

 

L'augmentation de la consommation progresse de façon foudroyante : 1,46 litre d'alcool pur par habitant en 1850, 4,67 litre en 1900.

 

La libéralisation du commerce après la révolution de 1789 est suivie de la mise en bouteilles plus faciles à transporter. Quelques années plus tard, la voie ferrée et les travaux qu'elle entraîne, puis les migrations d'ouvriers, entraînent une mutation des moyens de commercialisation. Vont apparaître les wagons foudres pour la bière et les vins. A Paris, la Halle aux vins est remaniée par Napoléon III. Une ville du vin apparait, au nom de "enrichissez-vous". Les grandes entreprises entraînent des concentrations d'ouvriers, en proie à la misère et au chagrin, cherchant l'oubli dans l'ivresse. L'ouvrier va au cabaret quand il a de l'argent, quand il est triste, pauvre, gai, parce qu'il n'a rien à faire. Dickens, Zola, Darwin décrivent les méfaits de l'alcoolisme. L'afflux des populations dans les villes crée des conditions d'habitat épouvantables, le travail devient plus pénible. Parallèlement la commercialisation du vin s'améliore, ainsi que sa production et sa conservation.

 

Benjamin Rush en Amérique parle de l'alcoolisme comme d'une maladie. En Angleterre, Sutton (1813) décrit le delirium tremens. Les médecins croyaient alors dur comme fer à la combustion spontanée des ivrognes. Des observations médicales sérieuses témoignent de cette légende. Et Zola fait décrire au Docteur Pascal "le plus beau cas de combustion spontanée qu'un médecin eût jamais observé".

 

Magnus Huss publia en 1837 son oeuvre majeure "alcoolisme chronique".

 

Les recherches se poursuivent alors dans les directions les plus étonnantes. En 1853, Lassègue étudie les relations entre alcoolisme et paralysie générale. En 1857, Morel publie les relations entre dégénérescences et alcoolisme.

 

La guerre de 1870 survient, l'"eau de vie est le pire ennemi du soldat". La commune de Paris fut vécue comme un vaste événement pathologique provoqué par l'alcool : "les vapeurs d'alcool qu'on évoque en parlant de Paris à cette époque avaient suffi à elles seules à transformer la capitale en brasier (M. Dumoulin). Selon Paul de Saint-Victor "L'ivrognerie était l'aliment de cette révolution crapuleuse". Et Druhen écrira en 1886 "cette orgie sanglante qu'on appelle commune de paris semble n'avoir été qu'une éruption d'alcoolisme, et l'histoire se souviendra de ces bandes de forcenés titubant dans les rues". L'armée réagit alors par un décret sur l'ivrognerie (10 Août 1872), 6 mois avant la loi sur l'ivresse publique.

 

La Loi sur l'ivresse fut votée le 23 Janvier 1973. Malheureusement, la montagne accoucha d'une souris : jusqu'à 1 mois de prison et 300F d'amende.

 

En fait, dès 1850, la réduction de la production à la suite de l'épidémie d'oïdium avait entraîné la disparition des "bons" alcools remplacés par des alcools d'industrie : distillation de pommes de terre, betterave, topinambours,... puis survint en 1875 le phylloxera. La production des alcools industriels est concurrencée par une fraude venant des bouilleurs de cru.

 

On pensait cependant à l'époque que l'alcoolisme était une maladie liée à l'alcool, alors que les boissons comme vin, bière, cidre n'engendraient pas la maladie... ce qui n'était pas tout à fait faux, l'épidémie d'alcoolisme ayant suivi la distillation massive. Les médecins admettaient l'aphorisme "le vin chasse l'alcool".

 

En 1872 les indemnités de guerre obligent à supprimer la franchise d'impôt des bouilleurs de cru. ce privilège exorbitant et héréditaire va petit à petit diminuer, pour aboutir à l'ordonnance de 1960 supprimant son caractère héréditaire.

 

En Mai 1872, naît une Association Française contre l'abus des boissons alcooliques, devenant en 1873 société française de tempérance. Le mouvement atteint son apogée en 1900. Mais, dès le début du siècle, la France bat tous les records d'alcoolisation. C'est l'époque où l'alcool-médicament est roi : vins fortifiants, Potions,... Parallèlement à l'alcoolisation de la plèbe, les bourgeois érigent des temples de la restauration et de la boisson, très raffinés.

 

Après la guerre de 1914, Pétain écrira "le vin a été pour les combattants le stimulant bienfaisant des forces morales comme des forces physiques. Ainsi a-t-il largement concouru à sa manière à la Victoire".

 

"La Garçonne" va lancer en 1922 la mode des cocktails. On parle alors avec sourire d'alcoolisme mondain. La surproduction réapparait en 1930. Le 14 Août 1930 le Ministre de l'Instruction Publique signait une circulaire adressée aux maîtres de l'enseignement primaire : "c'est à l'Académie qu'il appartient de porter scientifiquement la question du vin devant l'opinion publique, comme une des meilleures armes que la France puisse opposer à l'alcoolisme"..."le client perdu par le vin est un client gagné par l'alcool"..."il est du devoir des éducateurs de l'enseigner aux générations qu'ils veulent préserver contre les périls qui les attendent"... Or, à l'époque, 70% des alcooliques soignés ne consommaient que du vin. En fait, le mot "alcoolisme" avait lui-même contribué à perpétuer la confusion. En 1931, les "médecins amis du vin" se constituent en société scientifique. Ils tiennent leur premier congrès en 1933. En 1935 parait un magnifique ouvrage de Dufy "Mon Docteur le Vin". 

 

J. ALCOOLONIALISME

 

Au début du XVIIème siècle, la traite des esclaves s'intensifie. De nombreux captifs sont livrés par des trafiquants africains : La roi de Ouidah, au Dahomey, avait fixé ses tarifs : 1 homme = 25 à 30 fusils, ou 300 litres de poudre, ou 4 à 5 barils d'eau de vie. Au XVIIIème siècle, on peut acheter n'importe quel esclave pour 2 ou 3 mesures de vin d'Espagne.

 

En Amérique, dès 1600, l'alcoolisme fait d'énormes ravages sur les populations indiennes des plateaux. En 1786, le vice-roi du Mexique Bernado de Galvez recommande de propager l'alcoolisme parmi les Apaches qui l'ignorent encore. En Amérique du Nord, Français et Anglais pratiquent de même.

 

L'abolition de l'esclavage va obliger les trafiquants à se reconvertir. Le nombre d'européens augmente en Afrique, la plupart consommateurs d'alcool et deviennent des modèles auxquels les élites africains vont s'identifier. L'alcool arrive sur le continent Africain par bateaux entiers, alors que l'on manque de pain, de farine et de lait.

 

Au Canada, de nos jours, l'alcoolisme des Indiens est favorisé par la tutelle gouvernementale. Au XVIIème siècle, les peaux de castors étaient payées en alcool, et tout Indien pris en état d'ivresse a une amende de 2 castors.

 

La pression alcoolique est à la fois sociale (prestige) et religieuse.

 

K. LES PROHIBITIONS

 

A la fin du XIXème siècle, Legrain écrivait : "pas d'alcool, pas d'alcoolisme".

 

Dans nombre de populations primitives, la consommation de boissons alcoolisées n'était autorisée qu'à certaines personnes dans certaines conditions. Toutes sortes de restrictions furent émises au nom de Dieu, de l'état, de la morale, de la santé.

 

Le coup d'arrêt les plus efficaces furent celui de Mahomet au VIIème siècle (le vin devient "harem" ou péché).

 

En Amérique, dès 1784, Benjamin Rush avait émis l'opinion que l'usage du rhum pour préserver les soldats des maladies était tout à fait inadéquat. Le premier mouvement d'abstinence apparut dans le Maine en 1825, assimilant bientôt l'alcool à Satan. En 1830 existaient plus de 1000 sociétés de tempérance.

 

La prohibition américaine qui s'appliqua à cent millions d'habitants pendant 14 ans : du 17 Janvier 1920 au 5 Décembre 1933 on dut fermer 236 distilleries, 1090 brasseries et 177790 saloons... en quelques années le nombre d'hospitalisations pour psychose alcoolique chuta vertigineusement... pour voir augmenter vertigineusement le gangstérisme et la fraude.

 

Chez les Aztèques, l'opinion publique était hostile aux manifestations bruyantes liées à l'octli (pulque). Les châtiments s'échelonnaient de la bastonnade à la mort par étranglement. Les ordonnances de Nezaualcoyotl punissaient de mort le prêtre surpris en état d'ivresse. On rasait le crâne du plébéien surpris, la récidive était punie de mort.

 

En Inde, Gandhi essaya de supprimer l'alcoolisme qui touchait les chasses les plus misérables. Pour lui, la pureté vient non de la prohibition mais de l'ascèse, de l'intérieur. L'alcool est regardé comme maléfique, mais non le Haschisch. Une prohibition générale fut décrétée en 1977, ce qui entraîna un trafic énorme, des ventes d'alcool à brûler et des centaines de morts.

 

La "fée verte" absinthe fut interdite en 1915 sous l'accusation de rendre fou et criminel. Le vin d'absinthe était fort ancien, plante médicinale déjà connue des Egyptiens, mais sa distillation remonte au XIXème siècle. De nombreuses préparations à base de plantes parurent à partir de 1870. Tous les intellectuels s'adonnaient à la "verte", puis la boisson atteint la classe ouvrière. Le monde de la viticulture se déclara "pour le vin, contre l'absinthe", et il y eut un meeting monstre avec cette phrase comme slogan au Trocadéro en Juin 1907 réunissant 4000 personnes. En fait, l'interdiction dut encore attendre 8 ans pour des raisons financières : elle rapportait trop au trésor public. Enfin, la disparition de l'absinthe fit rechercher des boissons de substitution, et favorisa l'autorisation de mise sur le marché des apéritifs anisés.

 

L. ALCOOL-MEDICAMENT

 

C'est sur la tombe de Plah-Hotep qui vivait à Memphis 4000 ans avant JC qu'apparait la première mention d'usage thérapeutique du vin. Une tablette sumérienne de 3000 ans av JC détaille 829 prescriptions : traitement de l'asthme = une gorgée de miel, 8 de bière, 8 de vin. Contre l'épilepsie testicules d'âne pulvérisés mis dans le vin.

 

Sur le continent Indien, les breuvages à base de vin seront mis à l'honneur par le Tantrisme dans l'optique d'un accès au divin.

 

Le vin et l'alcool de riz figurent en bonne place dans la pharmacopée traditionnelle chinoise.

 

Hippocrate prescrivait du vin en application sur les blessures, contre la fièvre, comme diurétique ou purgatif. Mais il est contre-indiqué dans les maladies du système nerveux et en particulier la méningite.

 

Au début du second millénaire après JC survient la découverte de la distillation du vin, sans doute par les arabes. Le mot arabe al'ambiq semble venir du grec ambix (vase). A l'origine le mot al'kohol ne désigne que la poudre noire de sulfure d'antimoine utilisé comme fard par les femmes.

 

L'eau ardente fut longtemps considérée comme un médicament avant de devenir une boisson. Pour Raymond Lulle (1233-1315) l'eau de vie est une émanation de la divinité. il est réputé en être le créateur et était surnommé "le docteur illuminé".

 

Paracelse utilisait un élixir qui guérissait tout. Ambroise Paré recommandait l'usage local du vin et du vinaigre. La pharmacopée universelle de Heidelberg fait état de 170 vins différents. La pharmacopée universelle de Paris de 1840 en reconnaît 174 variétés.

 

Au XIXème siècle le baron Larrey utilisait le vin comme anesthésique, Laennec prescrivait l'eau de vie larga manu, technique que Broussais appelait "médications incendiaires". Pour Todd, l'alcool est le remède capital des états d'adynamie : il recommandait le gin, le whisky le brandy et le rhum à la phase aiguë, le vin et la bière à la convalescence. A la suite de Todd, la majeure partie des médecins devinrent alcoolothérapeutes enthousiastes "l'alcool est un des plus puissants moyens dont dispose la thérapeutique depuis que les indications de son emploi ont pu être scientifiquement posées". Le vin de quinquina avait le plus grand succès surtout pour les maladies digestives.

 

La thériaque reste le "médicament" de légende dont la réputation s'étendra de 100 avant JC jusqu'à Claude Bernard. C'est l'antidote miracle absorbée par Mithridate, composée de vin, de poudre d'opium et du sang des canards. La thériaque de la république de Venise, réputée seule et vraie, se composait de 73 ingrédients. D'autres villes développèrent alors des boissons compliquées appelées aussi thériaques. Lors de l'épidémie de peste noire du XIVème siècle, ce fut le médicament majeur. L'apogée de la thériaque fut Mattioli qui au XVIème siècle la composait avec 250 ingrédients. La demande était telle que d'innombrables charlatans se mirent à fabriquer toutes sortes d'eaux de vie, très onéreuses, à base de gentiane, genièvre et miel. De grandes discussions entre alchimistes, moines, apothicaires, barbiers et médecins opposaient tous ceux qui avaient retrouvé la formule de la vraie thériaque de Mithridate. Vers 1830, Claude Bernard, jeune préparateur en pharmacie, fit l'analyse de cette thériaque si consommée... pour découvrir que c'était une soupe des rebuts de ses préparations.

 

Parallèlement à sa fonction médicament, l'alcool gardait un aspect aliment qui fut source de nombreuses controverses. En 1902, les américains Atwater et Benedict montrent que l'on peut remplacer 500 calories non alcooliques par 500 calories alcooliques sans que cette substitution entraîne ni perte de poids, ni modification de température.

 

Il existe un catalogue impressionnant de recettes populaires à base de vin contre l'anémie, le rhume, les entorses, les pneumonies, pleurésies (9 gouttes de sang de bouc bouillies dans du vin blanc). Pour les gastralgies, dans les Côtes du Nord on soigne par une chopine de vin dans lequel ont macéré 12 crottes de brebis et 4 loches.

 

En 1974, un médecin publiait "soignez-vous par le vin"  et recommandait la Blanquette de Limoux contre la neurasthénie, le rosé de Provence contre l'obésité et le champagne pour faire tomber la fièvre. L'ouvrage "Bière et Santé" parut en 1953, préfacé du Docteur Georges Duhamel.

 

Enfin, en Décembre 1984, un grand hebdomadaire parisien (Paris Match) publiait une longue interview d'un médecin de Montpellier qui ajoutait aux maladies curables par le vin la cataracte et le cancer.

 

M. L'ALARME

 

Après la seconde guerre mondiale, les Français apprirent avec joie en 1948 qu'ils avaient retrouvé leur consommation d'alcool de 1938, à savoir la première du monde.

 

En 1947, J. Hald et E. Jacobsen, danois, expérimentaient des produits antiparasitaires intestinaux. Le disulfure de tétraéthylthiuram avait retenu leur attention (composé utilisé pour vulcaniser des caoutchoucs). Ils goûtèrent à la poudre puis se rendirent à un cocktail et après avoir bu de l'aquavit devinrent tout rouges, oppressés, eurent un malaise. En fin chercheurs ils reconvertirent aussitôt le disulfirame comme antagoniste de l'alcool et eurent bien vite du succès. Les patients affluaient au royaume pour se faire soigner.

 

La ligue Française contre l'alcoolisme était née en 1905 de la fusion de la société française de tempérance et de l'Union française antialcoolique. En 1960 apparaissent les Alcooliques Anonymes. La prévention de l'alcoolisme au volant s'appuie sur l'alcootest (Juin 1977 : étude = 40% des accidents mortels directement liés à l'alcool).

 

En 1978 se créait la société française d'alcoologie, composée de médecins, mais aussi administrateurs, économistes, soignants, psychologues, magistrats, juristes, sociologues...

 

Actuellement l'alcoolisation se répand largement dans le monde. Les vins et les bières voient leur taux d'alcool augmenter au nom de la qualité. La consommation par Français diminue lentement (troisième pour le vin derrière Italie et Portugal).

 

N. L'ALCOOL AUJOURD'HUI

 

La consommation fut longtemps presque essentiellement propre à la race blanche, mais il n'y a pas de pays où actuellement la consommation ne croisse : la boisson de bière a sextuplé aux Pays Bas en 27 ans, celle du vin quadruplé en Grande Bretagne. L'Europe fournit 70% du vin et 50% de la bière.

 

La consommation Française par habitant diminue lentement. 13,3 l 1983 -> 13,1 en 1984. Le problème essentiel a été de faire admettre la réalité d'un problème lié à l'alcool.

 

En Israël, pays sans prohibition, on a toujours été frappé par la discrétion du phénomène alcoolisme. Rôle de la tradition ? Place du vin dans la cérémonie du Sabbat ?

 

L'URSS possède l'alcoolisme comme problème économique numéro 1. A côté de la vodka et de ses dérivés, la distillation clandestine partout (salles de bains,...) de "samogon" avec n'importe quoi fait des ravages. Le taux de mortalité monte, l'espérance de vie a diminué de 71 ans en 1964 jusqu'à 64 en 1981. Les autorités estiment que l'ennui est l'une des causes essentielles de l'ivrognerie. Comme prévention, elles veulent réinventer la civilisation des loisirs. Les psychiatres marxistes déclaraient en 1950  que l'alcoolisme était une maladie bourgeoise et anachronique condamnée à disparaître au sein d'une société socialiste où l'homme ne sera plus exploité par l'homme. Mais ce seront les grévistes de Gdansk qui en 1980 prendront comme première mesure l'interdiction de l'entrée de la vodka dans les chantiers... diminution qui tiendra jusqu'à l'arrivée du général Jaruzelski puis l'assouplissement de l'"état de guerre" rétablira la vente de vodka. "Je crois que nous réussirons très prochainement à supprimer le monopole de la vodka, à réduire la production d'alcool au minimum nécessaire aux besoins techniques, et ensuite à liquider totalement la vente de l'eau-de-vie"(Lénine, 1927).

 

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